Hubert Tonka
FICTION DE LA CONTESTATION ALIÉNÉE
« Mon intention était, en mai-juin 1968, de montrer comment naissait la police de l'esprit, comment naissaient les automatismes, les comportements, les nostalgies et les abandons par lassitudes. Être moderne ce n'est pas ratiociner sur le passé, fût-t-il révolutionnaire. Nous savions, en tant que patriciens des révolutions, en tant qu'opposant aux organisation de régulation des économies-politiques capitalo-communistes, que la fossilisation commence par la raréfaction des paroles échangées. La prise de paroles restait l'essentiel. » H. T.
MAI C'EST TROP TARD MÊME QUAND L'AIR SOUFFLE…
« La réverbération de Mai sur l’eau de l’oubli, le miroitement d’une dizaine d’années sur la boue aqueuse de la légitimation, l’insolation d’un anniversaire sur un sable mazouté m’ont fait échouer sur le rivage de ma pensée ? Naufragé, j’erre sur la grève où l’air fouette, en collectant les morceaux de mon embarcation ; si avec certain je me bâtis une frêle cabine, avec d’autres je me chauffe ; avec les miettes je remplis ma besace car la route sera longue, pas de nourriture, je cueillerai. Les miettes, juste l’écriture, celle qui n’a d’autre justification que son fil qui se noue à en former des mots, et des mots s’élève une ballade. ¶ Mai, ni prétexte ni raison. ¶ Pas de théorie. Un défi, un pari. » (1978) T.
NOTES EN VOYAGEANT
« L’inexorable machine d’acier (cette vieille image, cet évident cliché) ne prendra vie qu’avec la vitesse, elle nourrit des arrachements. Brise, disloque le temps. Elle kidnappe les êtres, les affole.
Une image me revient constamment. Ce sont souvent les femmes qui restent sur le quai, souvent roides, trop dignes.
La machine rafle les pleurs aux larmes qui ne s’écoulent pas.
Elles remplissent les yeux qui deviennent brillants. Eaux stagnantes du départ. La brutalité de l’air réessuie le visage, fait couler l’eau de la peine. Comment les hommes retiennent-ils l’arrachement ? Moi, je serre les dents. Mon visage devient douloureux, impossible à remuer. Je suis aussi statique que le train arrêté. Il m’est arrivé de mouiller les yeux. Le train n’a rien fait couler. On a perdu l’habitude de pleurer. H. T.
OMBRES EXQUISES
Parfois un je, un tu se croiseront dans les textes. Est-ce un tu-Jean-Baudrillard, et un je-Hubert-Tonka ? Cette détermination n'est-elle pas réversible dans le mesure où ce n'est pas une substitution de rôle ? « Quelconque de ma part la parole me garde mieux que le silence », Francis Ponge.
À l'impossibilité de m'expliquer je renvoie sans cesse. Atteindre le silence qui envahit ton bouquin. Le vent n'est plus une insulte. / La solitude n'est pas une épreuve. / J'ai appris à entendre, cela au mépris de mon regard. Le regard d'habitude d'être au monde. As-tu trop d'espoir, n'est-ce pas à moi que s'adresse cette remarque ? / Finalement on est trop fragile.
FIL
Que reste-t-il si ce n'est un fil qui court encore, mais sait-on où ? / Un fil qui se contorsionne, s'emmêle. / Un fil qui fait des entourloupettes. / Qui se lie ou pas. Qui s'effile ou pas. / Il fait figure. Grimace parfois. / Parfois en un tissage assez serré apparaît une image furtive, un mirage cousu. / Le fil se rompt quand on le force. / Le fil est de toutes les aventures. Sa dernière est la critique. Il fit là tant d'acrobatie qu'il s'emmêla. L'espoir s'effondrera, du fil cent fois rompu. Il reste un tas de fil, une sorte de corde à nœuds, en quelque sorte. / Il nous faut arpenter sans fil un nouveau terrain, en nous promenant toutefois. / Ariane la fourbe grecque, oubliée. H. T.
"UNE MAISON PARTICULIÈRE" D'ANNE & JEAN-PHILIPPE VASSAL
- Hubert Tonka et Jeanne Marie Sens
Qu’est-ce qu’une maison individuelle ou pavillon de banlieue quand on est ouvrier, qu’on n’a pas beaucoup de sous ? On dispose d’un budget très restreint qui permet à peine de s’offrir le pire des pav' préfa en carton-pâte, sans personnalité, des espaces étriqués, bas de plafond, matériaux minables, etc. Que faire dans ces cas-là ? Trouver un architecte pour choisir le meilleur préfa, mais attention, rien à gâcher, pas de budget à rallonge ! À l’arrivée, une réalisation architecturale remarquable, dans la banlieue bordelaise, de deux jeunes architectes, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal : une maison d’une surface de plus de 180 m2, rez-de-chaussée, étage, une serre de 60 m2 sur toute la hauteur de la construction, enfin des conforts variés et tous les agréments d’une « vraie grande maison » n’éradiquant pas, comme le fait si souvent l’architecture « moderne », les symboles attachés à la maison. Conception intelligente d’une maison économique, autonome, pour un coût inférieur à celui d’un ridicule petit pavillon riquiqui pondu par des bétonneurs de banlieue.