Utopiques IV. L'histoire de l'utopie et le destin de sa critique
Utopiques IV. L'histoire de l'utopie et le destin de sa critique
Miguel Abensour désireux de penser l’utopie à nouveaux frais isole un obstacle majeur à une nouvelle pensée de l’utopie, à savoir la critique marxiste de l’utopie au nom de la science. Il perçoit dans cette formation critique un énoncé dominant qui a pour fonction d’exclure tout énoncé en rupture. Par un retour aux situations énonciatrices, il élabore un autre modèle d’interprétation, un autre paradigme que celui issu de la critique marxiste classique de l’utopie. Pour lui, la véritable matrice critique marxienne n’est pas le couple antinomique de l’utopie et de la science mais plutôt l’opposition découverte en 1843 entre la révolution partielle et la révolution totale. Karl Marx pratique une inversion de la critique bourgeoise de l’utopie, l’auteur des Manuscrits de 1844 invite de façon décisive à distinguer entre les utopies qui ne sont que “l’ombre portée de la société présente” (Proudhon) et les utopies à beaucoup d’égards révolutionnaires qui sont “des expressions imaginatives d’un monde nouveau” (Fourier, Owen). Il s’agit de dévoiler la trajectoire du geste marxien de sauvetage de l’utopie, à savoir la transformation de la question statique de la propriété privée en celle, historique, du rapport du travail aliéné à la marche du développement de l’humanité. Marx n’est donc pas le fossoyeur de l’utopie et ce d’autant moins qu’il a su effectuer une transcroissance de l’utopie au communisme critique. M. Abensour discerne, ici, trois formes de l’utopie : le socialisme utopique, le néo-utopies et ce qu’il appelle le nouvel esprit utopique qui persiste après 1848 jusqu’à nos jours. La critique de l’utopie est la voie privilégiée qui mène à son sauvetage. Comme l’écrit Adorno : “On ne jette pas le bébé avec l’eau du bain”.