Littérature
LA TORTUE
“Nous avons cru en l’amour et en la révolution ? et tout cela s’est dissipé ‘comme un fantôme, qui, nous ayant donné quelque espèce de consentement pendant qu’il demeurait avec nous, ne nous laisse en nous quittant que du trouble’ ? Ma conclusion là-dessus reste opposée à celle de Flaubert : nous avons eu raison. Je crois de toute mon âme que viendront d’autres générations, avec des jeunes gens épris de justice qui s’ébattront dans l’innocence et la délicatesse. Ils ressembleront à ce que nous fûmes trop brièvement.”
SUR L'EAU IMMOBILE ET NOIRE
La mort n’est jamais loin, frôlant ou arrachant les vies… Les morts plutôt – de passion, de faim, de guerre, d’accident, en série, volontaire, etc. – toutes avec ce même masque de kaolin et de charbon. Et si l’on pouvait leur parler, leur tenir tête, les insulter même, et leur arracher enfin leur sinistre masque ?
LE VOYAGE D'ICARE VALVERDE
Aigle doré, gerfaut, ermite balafré, phaéton, colibri tacheté, loriquet arc-en-ciel, engoulevent, bruant des neiges, émeraude à queue courte : suivant le mouvement d’oiseaux impensables, migrant d’un continent à l’autre, Icare Valverde parcourt les terres lointaines, s’imprègne de leurs couleurs de feu, de leurs senteurs suaves et épicées, de la sourde magie de leur paysage, de la touffeur de leur climat.
LE MANTEAU
Les années soixante-dix. Un enfant naît dans le tumulte joyeux de ces “années folles” où pour l’enfant roi qu’il personnifie la vie est synonyme de liberté, sans qu’il lui soit pour autant permis d’y trouver la stabilité et le bonheur souhaités. Dans son adolescence, l’achat, aux Puces, d’un manteau qui, au cours du temps, et jusque dans son âge adulte, perpétue le “doudou” dans les plis duquel il se réfugie afin d’y trouver le réconfort et d’y emmitoufler son mal-être, un manteau qui, à son image, s’use et se délite jusqu’à la trame, et en vient un jour à perdre, pendouillant et ne tenant plus qu’à un fil, son dernier bouton...
SOURIRES ET GRIMACES
Faire l'amour est un art difficile ;
Tout comme on peut comparer – à l'avantage de l'une et au désavantage de l'autre – la peinture à l'huile à la peinture à l'eau, on peut aussi constater que le bâton de vanille est bien meilleur que la sucette à l'eau. Hélas, la réalité n'est pas toujours à la mesure de l'espérance, et au lieu de s'en prendre plein le cul dans un bienheureux débordement, on s'en prend plutôt plein la gueule.
CONTRESENS - LE SENS DE LA DÉFENSE
- Jeanne-Marie Sens et Emmanuel Pierrat -
« Moi, Jeanne-Marie Sens intente un procès à toute personne ou entité de l’univers entier faisant un usage abusif de mon nom, à commencer par les cinq sens :
De quel droit, le goût, l’odorat, l’ouïe, le toucher, la vue,
et le sixième sens, qui, lui, me semble porteur d’un sens plus intime et plus intuitif. » J.-M. S.
« Monsieur le Président (de la société des lecteurs de bon sens), j’ai l’honneur de disserter devant vous dans l’intérêt de Jeanne-Marie Sens. En théorie, cette défense aurait pu se plaider devant le tribunal de la ville du même nom. [Ses habitants] ont déjà le goût du double sens et en abusent sans le savoir. Il est surtout à craindre que vos pairs ne puissent rester impartiaux face aux demandes légitimes visant, pour ma cliente, à la réappropriation de tous ses sens. » E. P.
DE LA CONFÉRENCE DES NUAGES
Sur fond de guerre (peut-être 14-18, ses tranchées et champs des martyrs) les hommes, un homme, la mort, la mort, parmi les corps éparpillés, les consciences éclatées comme des cervelles parfumées à l'odeur de la poudre
PORTRAITS LIEUX
La chambre, la maison, la salle de bains, la cabane, la piscine, le préau, les toilettes, le bois, la cave. Neuf portraits lieux, imprécis mais pourtant bien réels dans un imaginaire à construire soi-même. L’auteur effleure les mots d’un doigt, apparemment, léger, décrit des atmosphères qui pourraient, apparemment, faire croire qu’elles sont de l’ordre de l’ordinarité et qu’elles appartiennent au simple décor de notre quotidien, et nous voici accrochés à la force du goût du détail qui nous ramène à la réalité de la vie, l’insignifiance d’un rideau qui ne s’ouvre pas, le bidon d’huile au capuchon rouge avec son attache en plastique, l’eau du bain qui vient mourir en vaguelette sur le corps... Dans chaque lieu, une histoire, à peine suggérée, banale, ou presque, des portraits de personnages débusqués, fantomatiques, épiés d’un œil d’une acuité implacable, les petits et les grands tourments de la vie, les drames, la cruauté ; de ces personnages uniques qui passent, se traversent ou s’entrecroisent, on entend les paroles intérieures criantes, on les revêt de caractères, de ceux que l’on imagine, on les costume de sentiments qui, peut-être, et même sûrement, aussi sont les nôtres. On les endosse comme un habit de connaissance, on entend leurs souffles et leurs pas, on épouse leurs silhouettes, on déchire leur espace tandis que la nature insoumise, impénétrable sous son humeur fantasque, y mêle son bruissement.
Pourtant, tout est à sa place...
TOUS EGO, L'ABÉCÉDAIRE
- Christine Dalnoky et Patrick Solvet -
Moi je... (elle) Les lieux, l’habitat et le paysage, produits par l’étalement urbain évoquent les mêmes clichés que le langage. On n’habite plus « quelque part » mais « près du Macdo », du « giratoire », de la « sortie 12B de l’autoroute ». Chacun voit le territoire comme le support abstrait de son activité, peu de gens s’intéressent encore à la réalité du paysage produit par le collage de tous nos équipements. Moi je.. .(il) Je suis depuis fort longtemps une sorte de stéréotype vivant, modulable, prêt à apprendre tout nouveau poncif, me l’approprier et le répandre alentour. Il m’a fallu travailler longtemps pour être capable d’infliger au groupe mes idées toutes faites et demeurer pourtant brillant dans mes formules. Est dressé ici un état des lieux de l’évolution comportementale et dialectique de nos contemporains.
AU BORD
Des voix nous appellent. Elles crient, elles chuchotent, elles hurlent. Du plus profond de la nuit, au bord des abîmes de la solitude et de l'histoire. Elles nous supplient : « Ne nous ou oubliez pas. »
quelques survivants des grandes catastrophes du Monde se croisent, sans se rencontrer ; ou rarement, par miracle. Chacun est marqué par la cruauté impudique du réel. Tous survivent dans une stupeur des choses.
Comment faire un enfant, comment renaître, au milieu de ce chaos ? La violence est ici, plus qu'ailleurs, à l'oeuvre, son travail ordonne la matière même du texte, fragments éclatés, pièces détachées de l'immense puzzle de l'humanité, bribes d'absurde qui se répondent, désespérément. L'amour les traverse, unique bouée de sauvetage, fragile mais essentielle. Un tableau déchiqueté du Monde, après la brisure irréparable de l'Holocauste, écho monstrueux de ce malaise qui hante chaque vivant.