Jean-Pierre Burgart
Dédale aux cloisons d'air et de temps
Fils de parents célèbres, — un père cinéaste, écrivain, académicien, une mère comédienne qui, le père s’étant éclipsé, dut l’élever seule — l’auteur, dans ces pages que sous-tend la « question du père », aujourd’hui si confuse, tente, à travers des textes variés, de cerner qui il est, et ce qu’il est devenu au cours des années :
« On n’écrit pas “pour les autres”, dit Reverdy, on écrit aux autres. C’est particulièrement vrai de ces pages. Dans mon esprit, à l’origine, elles s’adressaient à quelques amis, proches ou moins proches, que je prenais le risque d’agacer, ou pire, par ce collage de textes hétéroclites — récits, diatribes, rêves, bouffonneries — où, sur fond d’autobiographie, il est question aussi bien de l’air du temps et du temps qui passe, de peinture et de poésie, que de la naissance et de la mort.
» Ce que j’ai appris de cette entreprise, c’est à quel point ma mémoire est faite d’oublis, de confusions, de lacunes, de vides, courant parfois sur des années. Je serais totalement incapable d’écrire un récit continu et cohérent de ma vie, l’équivalent d’un journal rétrospectif. Aussi bien n’est-ce pas ce que j’ai voulu faire, mais seulement “mettre noir sur blanc”, dans leur incohérence même, quelques souvenirs plus ou moins fuyants ou obsédants, quelques points de vue sans doute contestables auxquels cependant je tiens (ou qui me tiennent — et même certains que j’ai abandonnés depuis...), et qui mis bout à bout composeront, du moins je l’imagine, une sorte d’autoportrait dont le disparate même ferait l’unité. »
L'IMAGE INVISIBLE
« À travers un des poèmes qui le composent, intitulé “Gris lumière”, cet ouvrage fait écho au temps gris clair aimé de Cézanne, où se révèle pleinement, ce gris qui, dit-il, “seul règne dans la nature” et qui, selon Baudelaire déjà, “résume en lui toutes les couleurs”.
“Journal”, le texte sur lequel s’ouvre L’image invisible, reflète le dessein qui sous-tend l’ensemble : donner corps au rêve d’un livre qui par son propre mouvement s’élaborerait indéfiniment, de jour en jour, sans qu’un terme lui soit prescrit, comme il en va de la vie même. » J.-P. B.
"Sont-ils miens, ces mots béants
il est mort – tu es mort –
hier ? ou voici des années ? toi
dont parfois la main fraternelle
vient encore guider la mienne
tu es mort — tu es vivant.
J.-P. B.
LE READY-MADE ORIGINAL
Why not sneeze Rrose Sélavy ?
Le monde merveilleux du ready-made a sa propre logique. La contradiction n’y a pas cours ; ou du moins, ce qui nous apparaît comme tel y représente un charme de plus. L’à-peu-près y vaut la rigueur, et souvent en tient lieu. C’est un monde où il y a “autre chose que oui, non et indifférent”, où l’indifférence même est autre chose qu’elle-même — une méta-indifférence, qui est une indifférence est une indifférence est une indifférence, de même que la rose de Gertrude Stein “est une rose est une rose est une rose”.
Oui, pourquoi ne pas éternuer ?
LES FAGOTS DE COURBET
Dans Matisse-En-France, Aragon transcrit ce propos de Henri Matisse : « Il y a deux catégories d’artistes, les uns qui font à chaque occasion le portrait d’une main, d’une nouvelle main chaque fois, par exemple Corot, les autres qui font le signe de la main, comme Delacroix. Avec des signes, on peut composer librement et ornementalement. »
Il y aurait ainsi deux façons de peindre, et, si ce n’est deux peintures antinomiques, du moins deux versants opposés de la peinture : une peinture du signe et une peinture de la ressemblance. Et des peintres qui peignent, les uns, ce qu’ils voient, les autres, ce qu’ils savent ou imaginent...
LE SECOND JOUR
Le second jour, c'est celui qui naît et se déploie entre la lampe et la page, et qui dure invisiblement dans la clarté ambiante de la journée; c'est le lieu où demeure celui qui écrit.
Le second jour, c'est également une autre journée, un autre temps, en regard d'un jour initial et oublié, où les choses ont été ressenties pour la première fois dans la fraîcheur muette de leur apparition, encore dépourvues des noms qui leur seront donnés le second jour — désormais perdues à jamais, oubliées elles aussi, mais reconnues, retrouvées, réinventées à travers le langage et l'écriture.
Ne faut-il pas nommer "poésie" la parenté énigmatique qui, en dépit de leur étrangeté foncière, met en résonance la parole et le monde, les langues et la réalité qu'elles appellent, et relie toute image à d'autres images dans le miroir sans fin de la ressemblance?
Les textes réunis dans Le second jour s'y succèdent dans l'ordre chronologique inverse de leur composition. À partir des motifs de l'image et de la ressemblance qui trament et organisent la première partie du livre, le lecteur est reconduit vers ceux du signe et d'un oubli antérieur à toute parole.